Les jeux pour apprendre, une fausse bonne idée

Communiqué de l’Association des ludothèques françaises

«Le jeu, c’est moins le paradis enfantin que le seul domaine où nous leur laissons un peu de liberté, d’initiative.»
Janusz Korczak

L’idée d’utiliser le jeu comme une « ruse pédagogique » pour que l’enfant apprenne à son insu est très ancienne. Mais aujourd’hui, avec l’essor du jeu comme loisir culturel pour les adultes, nous assistons à une recrudescence de l’offre de pseudo-jeux «utilitaires», qui nous semble dommageable pour la société, et en particulier pour les enfants.
Face aux difficultés croissantes du système éducatif, et au malaise du personnel scolaire et périscolaire, nous comprenons qu’il puisse être tentant de voir dans ces produits des remèdes miraculeux pour l’éducation, et surtout qu’il soit lucratif de les vendre. Pour autant, nous ne doutons pas des bonnes intentions de la plupart des acteurs qui créent ou utilisent ce type de support. C’est pourquoi nous les invitons ici à prendre en considération les points suivants.

La perte du sens des apprentissages
En tant qu’acteur de l’éducation populaire, nous pensons que l’éducation doit avoir pour objectif de permettre à chacun d’exercer son rôle de citoyen et d’être l’auteur de ses choix. Pour cela, les apprentissages de l’enfant doivent faire sens pour lui : il ne s’agit pas d’apprendre à compter ou de découvrir l’histoire parce que c’est fun, mais parce que cela répond à son intérêt ou éveille celui-ci. Si la motivation est essentielle aux apprentissages, elle doit s’appuyer sur le désir de comprendre et de savoir faire et non sur ce que Célestin Freinet appelait le « jeu­haschich ».

Une dénaturation du jeu de l’enfant
Le développement des pratiques ludiques utilitaires se fait au détriment du jeu de l’enfant, qui est pourtant indispensable à son développement harmonieux.
A cause de tous les discours présentant le « jeu » comme outil d’apprentissage, parents et professionnels perdent de vue l’importance du jeu comme activité libre et pratiquée pour elle-même.
Premièrement parce que celle-ci agit comme un régulateur de la santé psychique de l’enfant: des études ont montré que les enfants qui disposent de moins de temps d’activité libre développent davantage de troubles du comportement et de l’attention, et d’angoisses de performance.
Deuxièmement parce que ce n’est qu’au travers de l’expérience de la liberté que l’enfant peut faire l’apprentissage de celle-ci. Les temps où personne n’est derrière l’enfant pour lui dire ce qu’il doit faire sont indispensables au développement de son autonomie.

La vie n’est pas un jeu
Enfin, nous souhaitons attirer l’attention sur le danger que présente le confusionnisme ambiant entre jeu et réalité, qui se traduit par le développement des pratiques de ludicisation et des «jeux sérieux». Le propre du jeu est en effet d’être une activité séparée du reste de la vie : c’est parce que ce qui se passe dans le jeu est «pour de faux» qu’il permet d’explorer et d’expérimenter. Il est l’espace idéal pour que puissent s’exprimer les comportements d’affrontement, de compétition, de prise de risque, etc. Inversement, à vouloir trop rendre ludiques les sujets sérieux, on tend vers une déréalisation de la société et une perte des responsabilités de ceux qui en sont les acteurs.
Pour toutes ces raisons, nous invitons à s’éloigner des pratiques ludiques utilitaires pour renouer avec un jeu libre et pratiqué pour lui-même, qui sera bien plus bénéfique à l’épanouissement et à l’éducation de chacun.e que ces nouveaux gadgets ludopédagogiques.